Le lundi, c’est raviolis pour le chef étoilé. Sans rire, j’exagère à peine. Stéphane Tournié attaque sa semaine en planchant sur les repas servis dans les cantines du primaire. Un sacré échauffement ! Ce 14 novembre, j’ai eu le privilège de suivre la foulée décidée du chef toulousain dans les allées de la cuisine centrale…
Tout juste un an après la commission des menus à laquelle je participais pour la première fois (celle du 12 novembre 2015), me voilà de retour à la cuisine centrale à Basso Cambo. Le travail à accomplir m’avait alors semblé relever de l’impossible et l’ambiance n’était pas au beau fixe entre l’équipe de la cuisine centrale et les parents présents.
Aujourd’hui, après bien des (més)aventures, la situation s’est apaisée avec, en particulier, la création du groupe de travail parents / mairie en juin 2016 et l’annonce d’un budget de 300 000 € pour financer, en 2017, la montée en gamme de certains produits. Une enveloppe supplémentaire de 100 000 € est prévue pour permettre les améliorations préconisées par M. Tournié.
Pour en finir avec les chiffres, rappelons que le chef, qui a signé en avril 2016 un partenariat d’un an avec M. Moudenc, est rémunéré à hauteur de 2000€ par mois pour sa prestation auprès de la cuisine centrale.
Lors de la réunion parents / mairie de septembre 2016, j’ai demandé à assister à son travail : autorisation accordée sans difficulté.
Ce lundi de novembre, à 9h15, je revêts donc la tenue de rigueur pour pénétrer dans la cuisine centrale : chaussons, blouse et charlotte stériles. Je n’ai pas le temps de m’habiller complètement que Stéphane Tournié a déjà rejoint les cuisiniers.
Le chef est énergique, affûté, et dresse sans détour le tableau : « moi, je suis à la cuisine centrale pour faire un travail de fond, amener mon grain de sel un peu partout. Je suis un électron libre, mais je dois agir en fonction des contraintes de coût, de technique et d’infrastructure ». Et de me mettre au défi de « réaliser à la maison un repas pour une personne avec 4€ seulement » (4€, c’est le coût matière pour 1 repas). Il déplore aussi « que le travail des gars, ici, n’est pas suffisamment reconnu et par ailleurs, qu’il est impossible de maîtriser jusqu’au bout ce que l’on fait » : à savoir le réchauffage des plats et le service dans les écoles.
Slalomant entre les cuves, les mélangeurs et les techniciens, refroidie au passage dans la zone de conservation des plats, traversant la zone de lavage (ou de stockage ? Je n’ai guère le temps d’analyser pardonnez-moi), nous progressons rapidement jusqu’à une petite salle vitrée. C’est là, au calme, dans ce qui est une « petite cuisine » que le lundi matin, Stéphane Tournié fait ses essais avec Georges Dassonville, le responsable de production de la cuisine centrale.
Le travail de M.Tournié se concentre sur le plat principal. Au programme aujourd’hui : pot au feu de canard du Gers au citron et aux épices asiatiques (sauce soja, gingembre, …), en prévision de la semaine asiatique de janvier 2017. « La complexité, c’est de trouver l’originalité avec des produits que les enfants aiment et connaissent » résume Stéphane Tournié. Ce dernier multiplie les tests, avec obstination, jusqu’à obtenir un résultat satisfaisant. « Il m’est arrivé, sur certaines recettes, de faire des essais pendant 4 lundis de suite pour arriver à quelque chose ».
Dans cette phase de test, le plat est préparé pour 20 à 25 personnes. La préparation sera ensuite refroidie, un échantillon sera envoyé demain au restaurant de Stéphane Tournié place du Capitole. Le chef goûtera, Georges Dassonville fera de même de son côté et les deux hommes recroiseront leurs appréciations.
Si feu vert il y a, le défi sera de passer de la petite à la très grande quantité, de la casserole à la cuve, de 20 parts à 33 000 parts. Stéphane Tournié ne craint pas le challenge mais il estime « qu’un an de travail ici, ce ne sera pas suffisant ».
La cuisine centrale est un grand paquebot et même si elle amorce un virage, il faut des mois avant de virer de bord pour s’engager sur la nouvelle route.
L’amorce est cependant donnée. Les tests hebdomadaires de recettes s’allient à un travail de fourmi sur les produits de base, les lots, les fournisseurs.
Pendant que le canard mijote avec ses légumes, M. Dassonville me cite quelques exemples : « ces derniers mois, nous avons rectifié toutes les sauces, nous avons créé des beurres travaillés : beurre de Provence, beurre aux fines herbes, beurre à l’ail, … Nous allons aussi relancer les consultations pour renouveler tous nos fonds de base : bouillons, fumets, … C’est très important. Si le fond n’est pas bon, le plat ne l’est pas non plus. Or, nous pensons que nous pouvons trouver du bien meilleur sur ces ingrédients de base ».
Il est presque midi. Le pot au feu est prêt à être conditionné en barquettes et à passer en réfrigération, dans des conditions similaires aux plats livrés dans les cantines.
Nous quittons maintenant la petite cuisine pour aller goûter, dans une salle de réunion d’autres plats : ces derniers ont été préparés il y a plusieurs jours puis réchauffés, là encore comme si nous étions à la cantine. C’est l’heure du test dégustation.
Sur la table : les raviolis bio épinards ricotta qui sont au menu des écoles ce jour même. Il y a aussi le menu de novembre signé Tournié : un sauté de bœuf à la japonaise, avec ses légumes façon wok ; et riz cantonnais pour le menu sans viande. Les enfants l’auront le lendemain à table. Il est prévu en effet que le chef élabore un menu par mois : le premier a été livré le 23 septembre dernier.
« Pour la sauce des raviolis, on peut enlever la ciboulette, elle n’apporte rien, on ne la sent pas. Gardons juste le fromage » préconise le chef avant de passer aux légumes servis avec le sauté de bœuf : « là, on a perdu de la force, ça manque de sel. On n’obtient pas le même résultat qu’au test » regrette Stéphane Tournié qui rêve d’un monde où les écoliers seraient éduqués au goût, comme ils le sont aux arts plastiques ou au chant.
Faire et refaire, tester et recommencer, démonter les mécanismes des recettes pour changer les pièces une par une, c’est désormais le quotidien d’une cuisine centrale où l’on rêve que les parents reconnaissent les efforts réalisés.
Les parents, eux, « qui sont peu nombreux à avoir conscience des contraintes de la restauration collective et à soigner l’alimentation de leurs enfants à la maison » comme l’assure Stéphane Tournié, rêvent d’une cantine où le déjeuner de midi serait le meilleur de la journée.
Ce que je crois pour ma part, c’est qu’à force de pousser vers le haut de la montagne, parents, mairie, cuisine centrale et chef étoilé, nous mettons les chances du côté de nos écoliers pour une cantine où plaisir et santé puissent un jour se conjuguer.